dimanche 4 octobre 2009

Le théâtre du crime, R. A. Reiss



jusqu'au 25 octobre 2009

Musée de

l’Elysée


Lausanne






Cette expo présente pour la première fois les photographies de police scientifique de Rodolphe Archibald Reiss, fondateur de l’institut de police scientifique de l’Université de Lausanne. Cet allemand, émigra en Suisse au début du XX ème siècle, pour étudier à Lausanne. Il sera un des pionniers de la criminologie scientifique, mettant au point des méthodes d’observation des scènes de délits et de crimes, utilisant à cet effet, la photographie comme instrument de recueil de données, comme moyen de préserver les traces périssables des actes criminels : blessures, traces de pas, empreintes, mais également d’identifier les criminels par de nombreux portraits signalétiques.


La photographie est bien entrée dans une nouvelle ère, où loin d’une représentation symbolique du réel, on lui demande exactitude, précision : elle pourra ainsi servir d’outil de mesure, elle devient ainsi une « trace » de trace. Permet le catalogage de l’éphémère : empreintes, corps mutilés, visages de morts anonymes, qui rendra possible une systématisation des bases de données. Mais la photographie de scènes de crime demande une technique particulière, une réflexion sur la manière de rendre le sujet avec le plus d’exactitude possible, souvent photographié dans des conditions difficiles (lieux exigus, sombres..).


Les exigences techniques de cette photographie d’identification vont générer le développement de nouvelles méthodes de prise de vue, tels ces supports en hauteur, permettant de photographie un corps couché dans son entier. Par ailleurs, ces photographies sont des éléments de cahiers d’expertise, où chaque cliché faisait l’objet d’une justification et de commentaires précis, éléments indissociables du rapport d’expertise. Malheureusement, la muséographie de l’exposition ne permet pas de comprendre l’aspect scientifique et innovant de ces méthodes de prise de vue. Seule une toute petite partie de la salle du second étage est consacrée aux réflexions techniques de R. Reiss.


Pour comprendre, aussi bien les éléments d’histoire de la police scientifique, que le rôle de pionnier joué par Reiss en Europe et dans le monde, il est nécessaire de se reporter à l’ouvrage publié par l’IPSC aux Presses polytechniques et universitaires romandes, car l’exposition ne présente quasiment aucune explication qui permettrait de resituer ces clichés dans l’histoire des méthodes d’investigation forensique.


Cette absence de mise en perspective, rend l’exposition particulièrement pénible, de par la violence des images choisies, particulièrement spectaculaires : tête tranchée, corps tuméfiés de noyés, de suicidés, femmes violées, corps lacérés..


Le choix de photographies s'avère particulièrement morbide et vise le sensationnel, alors que les dizaines de milliers de clichés d’Archibald Reiss couvrent de multiples autres aspects ( et occulte aussi bien l'intérêt scientifique de ses travaux, que l'aspect éthique de ses engagements : notamment ses photographies de charniers durant la première guerre pour dénoncer les atrocités commises envers les serbes).

Cette muséographie privilégie le sensationnalisme et l’esthétisation de la violence, à la réflexion sur l’aspect scientifique et historique de ces clichés. On regrettera donc que l’important travail de recherche effectué par l’IPSC n’apparaisse que très peu dans l’exposition. Aucune contextualisation des affaires présentées, rien qui permette non plus de savoir quelles sont les informations tirées de ces clichés, de l’analyse des traces, de leur interprétation, de leur rôle dans la résolution des affaires en question.


Qu’a-t-on voulu montrer par cette exposition ? On se le demande. Le « scientifique » n’est-il qu’un alibi pour du sensationnalisme gratuit ? Il y avait pourtant de nombreuses questions à poser, notamment sur le rôle judiciaire de l’image, sur l’entrée de la photographie dans l’histoire des sciences, sur la photographie comme instrument de réflexion et de déduction, révélant ce que l'oeil ne perçoit pas immédiatement..

Délibérément l’image est séparée de tout discours, elle devient présentation brute de marques d’une violence, qui par cette absence de signification en devient insoutenable : car elle ne fait pas sens, si ce n’est dans une présentation esthétisée et voyeuriste de la dégradation humaine.

Il aurait été notamment intéressant d’expliquer les différences entre les clichés d’identification de Reiss et les théories phrénologiques, car la discipline de la police scientifique s’est construite au sein de controverses sur ce qu’apporte l’observation du corps. Simple instrument d’identification des individus, pour Reiss, le corps, ou les marques qu’il porte (tatouages, forme du visage, etc.), ne sont pas un signe ni de la moralité de la personne ni de sa psychologie.


www.elysee.ch


Bibliographie


Collectif, C. Champod, D. Girardin, L. Lebart, P. Margot, J. Mathyer, N. Quinche, E. Sapin,

Le théâtre du crime Rodolphe A. Reiss, Lausanne, PPUR, 2009


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philosophe, spécialisée dans l'éthique de la communication et de l'information.